Ah ! Que la guerre est jolie
mars . avril 2011
Espace 2.13 PM . La Celle-Saint-Cloud
Mais qu'est-ce que vous croyez ! Que le bien est d'un côté et le mal de l'autre ? Que les fleurs sont destinées aux petites filles et les pistolets aux petits garçons ? Que le grand méchant loup n'a pas mangé mère-grand ? Ou bien encore que Cendrillon est heureuse avec son prince charmant ?
Mais réveillez-vous ! La vie est bien plus compliquée, et bien plus grave, et bien plus drôle ! On baigne dans la dualité des contraires : Anne Cindric n'arrête pas de vous le peindre, alors ouvrez les yeux !
Qu'elle est jolie cette toile de Jouy avec son petit décor champêtre, sa scène de chasse et ses enfants main dans la main. Que viennent donc faire là-dedans ces militaires en pleine action, cet hélicoptère en survol, et ces traces si rouges qu'on en dirait du sang ? Pas si tranquille la toile de Jouy dans cette peinture où tout se trouve en décalage, la forme et le fond, les proportions, les perspectives, la notion du temps. Le désordre s'installe, c'est le chaos, voire l'Apocalypse ! Quelle jubilation !
Oui, je l'affirme, la peinture d'Anne Cindric est totalement jubilatoire. On s'amuse à voir les phylactères voleter autour des hommes en armes, la guerre traitée en rose bonbon, les personnages devenir des sortes de géants projetés dans un pays de lilliputiens baroques. Nous sommes égarés dans un mélange de références : des petits tableaux s'incrustent dans le tableau principal comme dans les prédelles des primitifs, les thématiques sont puisées dans les contes enfantins, le graphisme s'inspire parfois des images d'Epinal, et les grisailles évoquent les grands vitraux de nos églises gothiques. Chaque œuvre nous révèle une parcelle de notre monde, empreint de cruauté et de douceur, de fatalisme et de combat, de légèreté et de douleur, de souvenirs d'enfants et d'épreuves de grands.
Par ailleurs, le regard féminin que pose Anne Cindric sur des univers considérés quasi-exclusivement comme masculins nous déstabilise profondément. Elle démystifie les démonstrations de puissance sans leur manquer de respect, remet en question les attributs du pouvoir, souligne la dimension autant salvatrice que destructrice de tout acte de force. Elle injecte de l'apaisement et de l'espièglerie dans des situations qui pourraient s'avérer insoutenables.
Imprégnez-vous, découvrez les codes, laissez-vous guider selon vos préférences par ce grand gaillard au torse musclé ou par la mélodie de ce joueur de flûte. Vous allez entrer dans un monde fantasque et plus vrai que nature !
Frédérique Paumier-Moch
14 décembre 2010